Erreur, prudence et somnolence !

   La revue de l’association de recherche sur l’histoire du cinéma 1895 a publié un compte rendu de notre biographie de Ladislas Starewitch dans son numéro 44 aux pages 135-136 sous la plume de Rémy Pithon. Ce compte rendu souligne tout l’intérêt, « la richesse et la nouveauté du propos […] Qui s’intéresse à Starewitch - et il mérite l’intérêt – dispose désormais d’une masse d’informations sûres et précises. » Il relève aussi ce qu’il considère comme des erreurs ou des manques qui appellent certains commentaires.

   Une erreur : « le réalisateur Charles Burguet rebaptisé à la suite d’une erreur de lecture Charles Eurguet (p.182 et index) ».
C’est exact, il s’agit bien de Charles Burguet réalisateur et président de l’Association des auteurs de films facilement identifiable.

   Un manque : « il est inconcevable… de ne pas identifier le producteur Grégoire Rabinovitch (p. 195 n. 3) ».
Nous connaissons ce producteur mais s’agit-il vraiment de ce producteur Grégoire Rabinovitch dans ce qui nous intéresse ? Parmi les nombreuses difficultés rencontrées par L. Starewitch pour vendre son film Le Roman de renard figure la présence d’intermédiaires parfois nombreux (comme lors des négociations avec une firme des E.U.) qui touchent des commissions pour des contrats qui ne se réalisent pas toujours. Il s’agit de malversations dont sont victimes Starewitch et le distributeur du film Paris Cinéma Location. On peut imaginer qu’à cette époque peu nombreuses furent les personnalités travaillant dans le cinéma portant le nom de Rabinovitch. Mais dans ce genre d’affaire de vente de film, entre le début de l’opération et son échec, il est arrivé qu’un de ces intermédiaires change de prénom (cf. note 1 page 203 de notre biographie). Nous connaissons aussi, pour des raisons totalement honorables, les frères Nalpas… Autrement dit, nous sommes restés prudents en posant la question de l’identité de Rabinovitch (note 3 page 195) sans trancher de façon péremptoire en respectant les principes de base de la démarche historique (ne pas affirmer sans certitude) et en respectant également la mémoire des personnes en cause (il est plus facile de commettre une injustice que de la réparer).

   Une confusion : R. Pithon déplore la présence de « textes du cinéaste tellement longs qu’on en oublie le statut de citations ».
Il est aisément vérifiable que toutes les citations de L. Starewitch ou d’autres auteurs sont décalées d’environ deux centimètres par rapport au reste du texte ; il est donc difficile d’oublier cette différence de statut à moins de glisser progressivement dans une douce somnolence qui n’était pas le but premier de notre biographie mais qui n’a pu qu’avoir un effet bénéfique sur le(s) bénéficiaire(s) et dont nous nous réjouissons totalement. C’est pour lutter contre cette somnolence que nous avons volontairement glissé certaines anticipations ou certains rappels dans notre texte.

   Un second manque : R. Pithon regrette que la place de Starewitch dans l’histoire du cinéma ne soit pas mieux retracée « en esquissant au moins le rapprochement qui semble s’imposer avec l’école tchèque d’animation ».
   C’est la remarque la plus intéressante et ce sera la suite de notre travail appuyée sur un livre construit autour d’illustrations. Mais il semble déjà que si cette relation avec l’école tchèque s’impose parce qu’elle est évoquée dans la plupart des dictionnaires du cinéma et des livres généraux sur l’animation, elle n’aboutit pas à grand chose si ce n’est que les animateurs tchèques ont utilisé volontiers des marionnettes plus que d’autres animateurs. Mais de Trnka à Barta il n’y a pas d’autres relations, que la marionnettes par rapport au dessin animé ou d’autres techniques, entre Starewitch et ces auteurs que ce soit dans l’animation de ces marionnettes (matériaux, réalisme, fluidité du mouvement…) ou l’univers créatif et esthétique des films et de l’œuvre de chacun. C’est ce qu’a montré une projection récente intitulée L’héritage de Starewitch, organisée à l’Auditorium du Louvre en présentant conjointement des films de L. Starewitch et de deux réalisateurs polonais des années 1950 : exceptée la présence de marionnettes animées sur l’écran, il n’y avait pas de relation entre les trois auteurs.

   La place de L. Starewitch est à rechercher surtout (et savoir pourquoi est une autre question très importante) du côté des anglo-saxons, du King Kong (1933) aux réalisateurs plus récents : N. Park, P. Lord, ou T. Burton, ce que nous évoquons (pp. 120 et 373). Il faut ajouter au moins Disney comme l’évoque Serge Kornmann, un des meilleurs connaisseurs du cinéma d’animation. Cette place déborde largement l’histoire du cinéma d’animation, elle concerne le cinéma dans son ensemble dans deux domaines principalement : le domaine esthétique (voir par exemple certains passages de L’Etrange Noël de M. Jack) et le domaine des trucages (voir L’Horloge magique et King Kong).
   Mais pour que cette place de L. Starewitch soit reconnue au delà du cercle étroit des spécialistes de l’animation il reste beaucoup à faire. Par exemple le récent numéro de CinémAction consacré aux trucages (Du trucage aux effets spéciaux, 2001) n’évoque pas L. Starewitch. Et pourtant dans L’Horloge magique (1928) une actrice de taille très réduite se débat dans la main énorme d’un géant, bien avant Fay Wray dans la main de King Kong !

François Martin.